23/04/2014
Au jardin / Les produits "phytosanitaires"
Mesure 59
Il est toujours mieux et à tout point de vue plus bénéfique : pour le portefeuille, pour les abeilles et autres insectes, pour les plantes, animaux et humains de s'abstenir totalement ou, au plus possible de tout produit dit "phytosanitaire" dans son jardin. Il est quasiment impossible d'éviter les dommages collatéraux même avec une utilisation dans les règles et en respectant les consignes sur l'emballage.
Sale époque pour les vers de terre, une interview de Claude Bourguignon, ingénieur agronome ( par Jonathan Ludd pour CQFD dans les archives de : cequilfautdetruire.org) :
"CQFD : Dans quel état sont les sols agricoles après cinquante ans d’agriculture intensives ?
Claude Bourguignon : Sur l’ensemble de l’Europe, environ 90% de l’activité biologique des sols cultivés a été détruite par l’agriculture intensive. Je dis bien : détruites. Les zones les plus ravagées sont l’arboriculture et la vigne. Or l’activité biologique des sols est indispensable pour l’écosystème. Le sol est une matière vivante : sur trente centimètres d’épaisseur, il concentre 80 % des êtres vivants de la planète. Les vers de terre, à eux seuls, pèsent plus lourd que tous les autres animaux du monde réunis. Mais les sols abritent aussi des bactéries, des champignons et une myriade d’organismes qui se nourrissent de la matière organique. Or en Europe, le taux de matière organique du sol est passé de 4 % à 1,4 % en cinquante ans. Comme toute la vie du sol en dépend, l’écosystème s’écroule : la flore et la faune. En Europe, les populations d’oiseaux, de reptiles et de batraciens ont chuté de 90 % en un demi-siècle.
Comment l’agriculture s’y prend-elle pour tout bousiller ?
Les sols meurent selon un schéma immuable, quel que soit le climat. Sur le plan biologique tout d’abord : en labourant trop profondément, en déversant des engrais chimiques et en abusant du désherbage, l’agriculture fait disparaître la matière organique des sols qui sert d’alimentation à la faune et aux microbes du sol. Ensuite, il y a la mort chimique : le lessivage des éléments entraîne une acidification des sols par perte du calcium, lequel sert de pont d’attache entre les argiles et les humus. Sans calcium, le mélange argilo-humique se détruit et les argiles partent en suspension dans l’eau. Enfin, il y a l’érosion. Lorsque le sol meurt, les argiles se mettent en suspension dans l’eau de pluie. L’eau boueuse emporte les limons, les sables et même les cailloux, ce qui aboutit aux inondations qui ravagent les tropiques. Les vingt dernières années ont été les plus sèches depuis trois mille ans, et pourtant, jamais il n’y a eu autant d’inondations du fait de la mort de nos sols. En France, 60 % des sols sont frappés d’érosion. Actuellement, nous perdons en moyenne quarante tonnes de sol par hectare et par an. À ce rythme, dans trois siècles, la France ce sera le Sahara ! Et puis, bien sûr, il y a les pesticides qui détruisent la vie organique.
Malgré ces sols dégradés, comment expliquer des rendements aussi prodigieux en agriculture intensive ?
Comme les sols sont biologiquement morts, on leur ajoute de plus en plus d’engrais chimiques ou organiques. Malgré ça, les rendements sont en train de stagner en Europe et baissent en Afrique. On parle de « fatigue des sols ». L’autre conséquence de cette course au rendement, c’est la dégradation des produits. Un exemple : 40 % des blés produits en Europe sont de si mauvaise qualité qu’on ne peut en faire du pain, ils sont donnés directement aux cochons. Nous sommes la première civilisation dans le monde à donner du blé aux cochons pendant que des gosses crèvent de faim ! Il faut comprendre que les gros rendements produisent des cultures de qualité lamentable. Regardez le pain français : il est de si mauvaise qualité qu’il se dessèche à toute allure. Les Français jettent environ 400 000 tonnes de pain chaque année, l’équivalent de la consommation du Portugal. Quel est l’intérêt de polluer l’environnement pour faire du pain qu’on jette à la poubelle ? Et qui, au final, coûte cher au kilo…
Quand on dénonce les conséquences de l’agriculture intensive, les pesticides, la malbouffe, on nous répond souvent : « Vous exagérez, ça ne va pas si mal ! La preuve : l’espérance de vie augmente. »
C’est faux, l’espérance de vie n’augmente plus dans les pays occidentaux. Elle commence même à chuter. C’est le cas des États-Unis. Ils avaient la plus grande espérance de vie du monde occidental en 1950, ils occupent désormais la dernière place. Or ils ont été les premiers à se nourrir de bouffe industrielle. En Angleterre aussi, l’espérance de vie diminue. C’est le pays qui a le plus d’obèses en Europe et qui consomme le plus de nourriture industrielle. De manière générale, l’obésité est en croissance exponentielle dans les pays occidentaux. En France, 17 % des enfants sont obèses. Et on n’a jamais vu un obèse faire de vieux os. Et puis l’agriculture chimique ne date que des années 60. Les gens qui vivent jusqu’à 80 ans en ce moment ont mangé bio jusqu’à l’âge de 40 ans. Leur corps, leur squelette, leur cerveau ont été constitués à partir d’aliments de meilleure qualité qu’aujourd’hui. À l’inverse, les enfants nés à partir des années 70 n’ont connu que la malbouffe. Je pense qu’ils ne feront pas de vieux os. Il suffit de voir les enfants d’aujourd’hui : otites, bronchiolites, asthme… ils sont tout le temps malades ! Si les dépenses de sécurité sociale augmentent de 6% par an en Europe, ce n’est pas un hasard. Il y a du souci à se faire !
Et vous, que mangez-vous ?
Du bio. Nous avons quitté la ville avant la naissance de nos enfants, nous vivons à la campagne, nous faisons notre jardin. En tant qu’agronome, je fais très attention aux produits chimiques contenus dans les aliments. Je ne consomme jamais de plats cuisinés ou autres trucs industriels.
Le bio, c’est vraiment une solution ?
Les agriculteurs biologiques ont des sols beaucoup plus actifs que ceux qui travaillent en conventionnel. Mais attention : l’important, c’est de faire des produits de qualité, qui donnent du plaisir à manger. Certains produits bio sont mauvais parce que les paysans mettent trop d’engrais organiques, ce qui fait autant de mal au sol que trop d’engrais chimiques. La façon de gérer les sols est fondamentale. En bio, certains labourent trop profond, ils font les mêmes conneries que les agriculteurs conventionnels. L’important, c’est de chercher la qualité des produits. C’est pour ça que j’apprécie les mouvements comme « slow food » en Italie. L’une des façons de s’opposer au productivisme agricole, c’est de réclamer des produits qui soient bons, pas des tomates ou des pommes insipides.
A-t-on atteint un point de non-retour dans la démolition des sols ?
Non, pas du tout. Il est possible de relancer la vie des sols en remettant de la matière organique. Mais ça demande de replanter des haies, de reboiser les zones sensibles, de gérer la matière organique des villes, etc."
(voir aussi à ce sujet les documentaires disponibles dans la colonne de droite:
- Claude Bourguignon - Protéger les sols...
- Le monde selon Monsanto
- Solutions locales pour un désordre global
- Les moissons du futur
- La disparition des abeilles, la fin d'un mythe
- etc.)
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